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Ayaan darane

28 février 2007

Le second roman de Rachid Hachi vient de paraitre

Lenfant   

Le second roman de Rachid Hachi vient de paraitre chez L'Harmattan !!! Bonne lecture....

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29 novembre 2006

Je vais être excisé

Je vais être excisé

Mon temps est arrivé. Je suis en classe de CP. L’été s’avance et les préparatifs vont bon train. Ma mère a depuis un an entrepris une campagne psychologique. Tu te promènes avec ça dans la ville, m’a-t-elle dit, en pointant un index accusateur entre mes jambes.

Je demande à mes camarades de classe et tous m’affirment qu’elles ont été excisées. Elles ne me disent pas davantage, elles ont honte. Le souvenir est encore vivace chez certaines, elles n’osent pas en parler. Elles me regardent avec des yeux embués et s’en aillent. Les plus courageuses me conseillent de ne pas me soumettre. Mais comment m’évader d’une réalité qui se concrétise de jour en jour.

-         Je vais être excisé.

Depuis ce jour une certaine honte régule ma relation avec les autres. Toute seule dans la chambre, je regarde mon bas ventre et cherche à comprendre ce qu’on doit me faire. M’enlèvera-t-on le sexe complètement ?

Je lorgne vers mes frères et remarque qu’ils ont un sexe bien différend du mien, proéminent. Si on doit couper quelque chose, c’est bien chez eux que le couteau doit être le plus actif. Mais c’est à moi que maman parle, c’est moi qu’elle accuse de porter quelque chose de sale. Ma sœur Simane, certainement menacé par ma mère, refuse de me dire quoi que ce soit. Et ma mère de continuer.

-         Tu ne seras pas une femme tant que tu portes ça.   

Je suis enragé contre ce ça. Je l’aurais arraché de moi-même avant que l’on vienne le chercher. Car les rares confidences que mes camarades de classe m’ont faites, me font peur. Elles ont parlé d’une douleur atroce, de sang qui coule, alors qu’une multitude de femmes te tienne cloué au sol.   

Et comme un complot bien organisé, toutes les voisines viennent nous voir. Elles n’ont qu’un mot à la bouche : excision. Elles me demandent si je suis prête en me caressant la tête.

-         Non, dis-je à l’une d’entre elles.

-         Ah non ! Tu dois être fier d’être excisé, c’est un honneur pour toi et ta famille.

-         Tu es excisé toi ?

La femme se tord de rire. Elle me regarde en secouant la tête.

-         Dans toute la ville, tu ne trouveras pas une femme non excisé. D’ailleurs n’est même pas femme celle qui ne passe pas par là. Tu ne peux pas faire la prière, apprendre le coran. C’est impossible.

-         Parce que je porte un organe sale, c’est ça ?

-         Voilà, tu as bien compris ma fille. Tu vas voir, ce n’est pas difficile et c’est très bénéfique. Tu ne le regretteras jamais. Tu me promets d’être courageuse ?

Je hoche la tête. Mais je ne suis pas convaincu. Si toutes les femmes passent par là, me dis-je, pourquoi pas moi. Je ne veux pas faire exception.

Pour cette besogne, ma mère va m’amener à Ali-Sabieh, chez une tante à elle. On me dit beaucoup de bien de cette femme. Elle connaît son travail, c’est une experte en la matière, elle ne me fera pas de mal. Je resterai à peu près dix jours chez elle.

*** 

Je vais partir demain. Mes effets sont prêts. Mais la peur est là. C’est de cette peur là que j’ai voulu faire part à mon père. Il est assis dans le couloir, mâchouillant du Khat. Je lui ai préparé du thé.

-         Papa, dis-je au moment de déposer le thermos devant lui, je vais partir demain.

-         Pour aller où ?

-         A Ali-Sabieh.

-         Ah bon ? Pour faire quoi ? Et ta mère, le sait-elle ?   

Je suis surprise. Je vais être excisé demain et il n’est pas au courant.

-         Je vais être excisé, dis-je.

-         Ah bon ?

-         Tu ne sais pas ?

-         Non. Mais c’est bien, tu vas devenir une femme maintenant.

Il a dit cela sans me regarder. Il furète dans les maigres branches du Khat. Il ne me demande rien d’autre. Déçu je m’en vais vers la cuisine.

*** 

Ali-Sabieh. Je ne vois pas grand de la ville. Ma mère n’ayant payé q’une seule place pour nous deux, me serre entres ses cuisses et m’empêche de faire aucun mouvement.

Nous arrivons devant une petite maison en pierre après avoir marché une dizaine de minutes. Ma mère donne deux coups sur la porte en bois. Une fillette l’ouvre. Elle a à peu près mon âge. Mais en plus maigre.

-         Ibado, dit-elle en souriant.

-         Bonjour Nasra, qui est à la maison ?

-         Entrez, tout le monde est là.

La maison a deux pièces. Le sol est en terre. Il n’y a pas d’électricité. Une vieille femme sort de la cuisine. Elle a la peau très sombre, elle est maigre. Son visage fait peur.

-         Oh, la petite Aicha, comment vas-tu ma fille ?

-         Bien, balbutiai-je.

-         Tu viens nous voir enfin à Ali-Sabieh ?

La main qu’elle me passe sur la joue est rugueuse. C’est comme une carapace sans vie. Elles me laissent avec la fillette et se retirent dans une chambre. Elles parlent tout bas.

-         Comment t’appelles-tu, dis-je à la fillette ?

-         Nasra et toi ?

-         Moi c’est Aicha. Tu as été excisé ?   

-         Non pas encore. Je crois que nous le serons ensemble.

-         Et comment sais-tu cela ?

-         Maman m’en a parlé.

-         Elle fait toujours ça ta mère ?

-         C’est son travail, affirme-t-elle en souriant. Pendant l’été elle excise chaque jour une fille.

-         Tu n’as pas peur ?

-         Si. Les filles crient beaucoup.

La réunion prend fin. Ma mère est tout sourire. Elle m’amène à l’écart et me recommande d’être courageuse et sage. Elle me dit qu’au moment de son excision elle n’a pas pleuré. Je dois être comme elle.

-         Ta cousine va se moquer de toi si tu pleures.

Tous les arguments sont bons pour me mener à ce que je considère dorénavant comme un abattoir. Je lui réponds de ne pas s’inquiéter. Je suis toute soumise. Elle me décoche un sourire et s’en va.

*** 

   

Le matin de bonheur la vieille femme nous réveille. Je suis couché sur un matelas avec Nasra. Le soleil ne s’est pas encore levé. Nous nous regardons moi et Nasra d’un regard de mort. Maintenant nous avons peur.

-         Vite sortez de là, nous dit la femme.

-         Il est encore nuit maman, réponds Nasra.

-         Arrêtez de bougonner et sortez.

Il y a trois femmes assises dans la cour. Elles nous regardent sans nous voir. Je vois l’une d’entre elles fixer mon bas ventre. Elle a hâte d’écarter mes jambes, de plonger son couteau dans mon sexe et d’en arracher l’organe sale. Ces femmes nous défendent de manger, de boire. Nous ne pouvons que pisser.

Je n’ai pas de chance encore une fois. Pendant que nous sommes dans la toilette, les femmes préparent le lieu, affûtent les couteaux et mettent en place des produits nécessaire pour la circonstance. J’entends le cliquetis du matériel, je les entends murmurer. Et ma peur grandit. Les battements de mon cœur m’assourdissent. J’ai envie de pisser mais ma vessie est comme tarie par l’angoisse. Pas une goutte ne sort.

-         J’ai peur Nasra…

-         Moi aussi.

-         Restons ici et enfermons nous.

-         Ce n’est pas possible, elles vont appeler des hommes qui vont enfoncer la porte.

En regardant de plus près, je découvre qu’elle ne pisse pas non plus, elle est juste assise comme moi, pétrifiée de peur.

-         Sortez de là, crie une femme.

Je sors la première. Mes jambes me tiennent à peine. Deux femmes m’attendent à côté de la porte. Chacune s’empare d’un bras et me tirent vers un morceau de carton posé à même le sol. On écarte mes jambes avec forces. Une femme me plaque au sol en s’appuyant sur ma maigre poitrine. Je me sens écartelé. Je n’arrive pas à parler, encore moins à crier. Je suis surprise. Et toute de suite après une douleur atroce qui est parti de mon bas ventre me coupe le souffle.

Je crie, j’appel à l’aide. Mais qui peut m’entendre. Je suis une femme, et les cris d’une femme n’ont nullement d’écho dans ces contrées. Des fois, c’est même normal, justifié. La femme doit crier le malheur de la famille, elle doit pleurer la mort d’un mari, d’un enfant, d’un proche, elle hurle la douleur des autres mais jamais la sienne. Ses problèmes, ses douleurs, son mécontentement, sa désillusion, son désespoir, elle les pleure tout doucement, la tête enfouie dans son châle ou cachée quelque part dans la maison. 

Celle qui se trouve au dessus de mon visage place sa main devant ma bouche, en me disant de la manière la plus ferme.

-         Tu n’as pas honte ? Il ne faut pas crier…

Qu’est-ce que je sens à ce moment là, je ne puis le dire. Les femmes parlent, j’entends des bruits. La douleur se propage vers toutes les parties de mon corps, une douleur lente, sournoise. Avec les dernières forces qui me restent, j’arrive à m’arracher de l’étau de la femme et parvient à me redresser. Furtivement je jette un regard vers ce qui a été mon sexe, je le cherche des yeux, horrifié. Je ne pense à qu’à une seule chose : qu’elles ne l’ont enlevé et qu’à sa place il ne reste plus qu’un gouffre béant, ensanglanté.

-         Attrapes-la, préconise mon bourreau. 

Elle a les mains mouillées de mon sang. La lame du couteau qu’elle tient dans sa main droite est méconnaissable. Tout est rouge, mon bas ventre, mes cuisses, le carton et le sol tout autour. Et les femmes, tels des vautours, se repaissent de ma chair et de mon sang, s’interpellant, bavardant ou riant de ma réaction. Je cherche Nasra des yeux. Elle est recroquevillée dans un coin. Elle me regarde en silence. Subitement je ne pleure plus. La douleur est telle que je ne sens plus rien, je suis une douleur.

Doucement je ferme les yeux. J’entends tout mais je ne vois rien, je ne sens rien. Les femmes parlent.

-         Elle a perdu connaissance, dit l’une d’elle.

-         Ça y est on a presque finit, on va l’allonger, répond une autre.

-         Elle a perdu beaucoup de sang je crois…

-         Moi, le jour qu’on m’a excisé, il parait que j’ai rempli une bassine. Pourtant j’ai tenue bon jusqu’au bout. Ces jeunes d’aujourd’hui sont très faibles…

-         Ma fille a complètement refusé de se faire exciser. Elle est allée se réfugier chez son oncle à Djibouti…

-         Et tu l’as laissé ?

-         Evidemment non ! Je ne peux pas la garder comme ça, c’est une honte.      

*** 

Je me réveille tard dans l’après-midi. J’ai mal partout. Tout mon corps tremble des mortifications qu’il a subies. Nasra gît à côté de moi. Elle est encore inconsciente mais respire doucement. De temps en temps elle pousse un gémissement étouffé. Je rejette le drap qui me couvre. Et là je fais une autre découverte. Mes jambes sont ficelées. La corde court de mes hanches jusqu'à la pointe des pieds. Je ne peux pas voir ce qu’elles m’ont faite. Je ne sais plus si j’ai un sexe. L’endroit est cadenassé. Le secret tant cultivé dans ce pays sur l’intimité de la femme est ainsi renforcé.

Je suis très affaibli. J’ai faim et la soif coupe ma gorge en deux. Et quand je demande à boire, notre bourreau m’informe que je n’ai droit qu’a un seul verre d’eau durant toute la journée. Je n’aurai qu’un plat essentiellement composé d’aliments secs.

-         C’est pour que tu guérisses vite, ajoute-elle.

Je pleure dans ma solitude. Je hais d’être né femme. Pourquoi dois-je souffrir pour légiférer ce titre que Dieu m’a déjà donné ?

Deux semaines plus tard, je reviens vers la maison. Ma mère m’accueille sans effusion de joie. Elle est assise devant leur chambre. Tout de suite elle me fait asseoir par terre et écarte mes jambes. Elle fait la moue, puis sourit. Ce sourire n’est pas pour moi, c’est plutôt une mimique de satisfaction. Son projet a été mené à bien. Elle a évité la honte, le dénigrement des voisins et de son clan. Moi je compte peu dans tout ça. C’est une affaire de famille, de société et donc nationale.   

-         Comment te sens-tu me dit-elle ?

-         Je suis fatigué…

-         Ça va passer.

-         J’ai mal partout…

-         Arrête de te plaindre.

Elle ne me demande rien d’autre. Le déroulement de l’opération, si j’ai eu mal, si j’ai perdu du sang, si je me suis évanoui, si j’ai été affamé et assoiffée, si la fièvre m’a terrassé durant quinze jours, si les douleurs m’ont empêché de dormir, si j’ai eu du mal à pisser et que je crains encore à regarder entre mes jambes… tous cela n’a plus ou n’a jamais eut d’importance. J’ai gagné mon titre de femme dans la douleur et les larmes.

Le lendemain, la vie reprend ses droits. Je me lève tôt le matin et rejoins la cuisine. Mon père ne me dit pas bonjour, il me réclame simplement son petit déjeuner. Mes frères n’ont pas remarqué mon absence, ou du moins feignent-ils. Mes sœurs font autant. Elles, je les comprends, elles sont passés par là. Elles en ont tellement souffert qu’elles ont fini par admettre ce supplice comme une fatalité. Alors pourquoi m’entourer d’une tendresse, à leurs yeux, inutile. Simane arrive à me dire quelque chose, deux mots qui résument à eux seuls l’aspect tragique de la situation. Elle me regarde dans les yeux et me dit : tant mieux. Tant mieux… pourquoi ?

Je suis offusqué par ce manque de compassion, cette indifférence devant le drame que je porte dorénavant en moi. Ils veulent me faire croire que c’est naturel, que c’est la vie d’ici et qu’en m’y conformant je ne suis pas une martyre.

Cette déception aggrave encore ma douleur. Je me nourris peu. Je parle rarement à mes frères. La nuit, allongé sur mon matelas, je pense à ce qui m’est arrivé. Chaque nuit j’arrête ma décision : demain je regarderai entre mes jambes. Et la journée passe. La peur inhibe tous mes efforts. Je n’ai qu’une seule certitude, c’est que beaucoup a changé. J’ai toujours des douleurs, je pisse difficilement, je me sens comme ficelé, le moindre écart de mes jambes me gêne. Et quand je reste assise durant des heures, j’ai mal au bas ventre.

C’est un matin de vendredi. La maison dort encore. J’ai fini de préparer le petit déjeuner. Tremblante de peur je rentre dans la toilette. J’ai peur… je ne peux pas regarder. Je glisse alors une main entre mes jambes. Je n’ai rien, je n’ai plus de sexe. A la place, j’ai une paroi lisse. Je cherche encore de la main. Insuccès. Je sors de la toilette, intriguée. Je prends un miroir et cette fois ci, dans la cuisine, je la pose devant mes jambes écartées.

Le choc de la découverte m’assomme.   

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